Introduction

     Le petit chaperon rouge est un conte de la tradition populaire tiré d'une version orale. Il est intéressant de se pencher sur son évolution à travers le temps afin de comprendre pourquoi il continue à susciter un intérêt pour toutes générations confondues. La tradition orale a été le point de départ de nombreuses versions différentes des contes au cours de l'histoire et de l'évolution des sociétés. Nous nous sommes alors interrogés,plus particulièrement, sur le cas du petit chaperon rouge afin de comprendre comment il a évolué. Passant par des versions écrites (Perrault en 1697, Grimm en 1812 - 1814). Puis par des réécritures, et enfin par des adaptations cinématographiques (dessins animés, film d'action...), il s'agit d'un conte d'avertissement qui contient des thèmes ayant trait à la sexualité, à la violence et à l’anthropophagie. Dans un premier temps nous analyserons ce conte, puis ses différentes réécritures et adaptations ainsi que les différentes visions qui peuvent s'en dégager. Afin de comprendre sa popularité et de répondre à cette problématique : Comment les contes ont-ils évolué pour perdurer dans le temps ?

Analyse du conte

     Avant d’opérer une étude des différences et similitudes entre Perrault et Grimm, il convient de mettre en évidence la manière dont le sujet a été traité dans la version orale. 

     Quatre personnages sont présents dans l’histoire, la fillette et le loup tiennent les rôles principaux. La mère et la grand-mère, quant à elles, restent dans l’ombre, elles ne sont que le cadre du récit. Lors de leur rencontre, le loup propose à la fillette le choix du sentier entre celui de l’aiguille et de l’épingle, tout deux vont ensuite dans leur direction. La fillette s’attarde à ramasser des aiguilles pendant que le loup s’empresse d’arriver le premier chez la grand-mère qu’il tue sans en manger la chair, cette dernière est alors disposée à l’enfant. Le loup détient donc le rôle du boucher et l’enfant du consommateur.



     C’est alors que l’attitude de la fillette s’avère plus complexe. Malgré les avertissements de la chatte, l’enfant persiste à manger la chaire et boire le sang. Son comportement ne laisse paraitre aucune crainte à l’égard de son geste. De plus elle se prête volontiers au jeu du déshabillage qui n’a pas l’air de la déranger plus que ca. Elle ne décèle aucun sentiment de méfiance ou de peur a l’égard du loup car son intelligence prend le dessus par rapport aux capacités intellectuelles de l’animal (action de la fin dans la version orale).


     Des changements nettement visibles vont apparaitre dans les contes de Perrault et Grimm.
Tout d’abord la fillette change totalement de comportement, elle n’est plus décrite comme intelligente et maligne mais comme une enfant naïve et superficielle : « Il était une fois une petite fille, la plus jolie qu’on eût su voir » dit Perrault. « Une adorable petite fille que tout le monde aimait rien qu’à la voir » ajoutent les frères Grimm. La version de Grimm accentue cet excès de crédulité.


     En effet dans le conte de Perrault la naïveté du petit chaperon rouge prend le dessus contrairement à la fillette décrit dans le conte orale : « la pauvre enfant, qui ne savait pas qu’il est dangereux de s’arrêter à écouter un Loup ». Ainsi, cette dernière donne toutes les informations au Loup pour se rendre chez la grand-mère sans aucune méfiance « elle ne savait pas que c’était une si méchante bête et elle n’avait pas peur. »
Dans le conte de Perrault, la fillette est alors incapable de gérer la situation et se fait dévorer par le loup. Perrault détourne donc l’image de la femme qui nous était montré dans la version orale, son récit s’achève sur ces mots : « On voit ici que de jeunes gens, surtout de jeunes filles, belles, bien faites et gentilles, font très mal d’écouter toutes sortes de gens, et que ce n’est pas chose étrange, s’il en est tant que le loup mange ».


     Dans la version orale l’image du Loup n’apparaissait ni comme bonne ni comme mauvaise. Cependant Perrault et Grimm nous véhiculent l’image d’un animal cruel, calculateur, impitoyable.
Chez Perrault « le loup, qui eut bien envie de la manger ; mais il n’osa, à cause de quelques Bûcherons qui étaient dans la forêt. » Il propose donc implicitement au petit chaperon rouge de prendre le chemin le plus long par la ruse.
Cette ruse s’accroit dans la version des frères Grimm, la fillette est incitée par l’animal à s’attarder sur son chemin «toutes ces jolies fleurs dans le sous-bois, comment se fait-il que tu ne les regardes même pas?»
     Une cruauté sans limite est présente, il n’hésite pas à dévorer la grand-mère, cet élément nous montre ainsi une fragilité que l’on retrouve chez l’être humain face à la férocité du Loup. Les frères Grimm accentuent encore plus cette idée.

     On retrouve dans la scène du déshabillage quelques connotations sexuelles, en effet chez Perrault cette scène ne subsiste qu’une seule phrase : «Le Petit Chaperon Rouge se déshabille et va se mettre dans le lit où elle fut bien étonnée de voir comment sa Mère-grand était faite dans son déshabillé». Par ailleurs cette phrase disparait totalement dans le conte des frères Grimm elle est ainsi réduite à sa plus simple expression, le fait qu’il s’agisse d’un animal et d’une fillette ce qui à du jouer un rôle dans l’évolution qu’a suivit cet épisode.
     Lors des fameuses questions- réponses entre le Loup et le petit chaperon rouge on relève encore une certaine ambiguïté dans le comportement de la fillette. Ses observations porte à croire qu’elle n’ignore pas la présence du loup : « Ma mère-grand, que vous avez de grands bras », « Ma mère-grand, que vous avez de grandes jambes ». Une fois de plus cette ambiguïté est levée dans le conte de Grimm car l’enfant aperçoit qu’un bout de visage du loup et ses mains dépassent de la couverture.


     Toutes ces modifications relevées entre la version orale, le conte de Perrault et Grimm introduisent des dénouements différents. Les capacités intellectuelles du petit chaperon rouge triomphent dans la version orale alors que Perrault s’achève sur la mort du petit Chaperon rouge dévoré par le loup. La morale de l’histoire a donc pour but de responsabiliser la femme et les jeunes filles. Il donne ainsi raison au loup afin de faire passer un message de prévention et de méfiance.


     Quant à eux, les frères Grimm ne voient pas les choses de la même façon, selon leur point de vue quelque soit la faute humaine -entre autres la naïveté et l'insouciance des petites filles- il est normal de tuer et de maltraiter les animaux. Dans le conte des frères Grimm, le chasseur intervient une fois que loup s’est endormit, il représente le geste libérateur du récit ainsi que la force masculine auprès des femmes.

     Ainsi ce conte a connut de nombreuses évolutions au cours du temps, en ayant examiné les similitudes et les différences entre ces diverses versions, on retrouve donc des thèmes ayant trait à la sexualité, à la violence et notamment à la discrimination envers les femmes mais aussi envers les animaux.
De plus ces contes ont été de nombreuses fois analysés par plusieurs grands psychanalystes dont Bruno Bettelheim dans La psychanalyse des contes de fées. L’intérêt porté à cette histoire montre donc son éloquence de par tous les sujets traités, et joue aussi de sa popularité à travers les époques. 

Réecritures du Petit Chaperon Rouge

Tout d'abord, quelques définitions:


Parodie, détournement :
La parodie est une reprise ironique ou dérisoire d'une œuvre, ou d'un genre, qui en caricature les règles, les personnages, les situations ou les stéréotypes. De même que le détournement, la parodie utilise l'inversion, la réduction ou l'amplification, l'anachronisme, les jeux de mots... Le rire ou le sourire du lecteur est presque toujours l'objectif d'une parodie

     
Il semble donc intéressant d'étudier certaine des réécritures du Petit Chaperon Rouge. En effet, une question se pose: nous connaissons tous le conte du petit chaperon rouge, son déroulement ainsi que sa fin. Pourtant, nombreux sont les auteurs qui en ont écrit leurs propres versions, destinées en majorité aux enfants. Pourquoi alors, toujours ce désir de renouveler cette histoire ?

     Les réécritures sont souvent des parodies du véritable conte. La trame connue est présente : une petite fille qui doit rejoindre sa grand-mère afin de lui apporter quelques présents ; une rencontre avec un individu susceptible d'être dangereux ; l'arrivée chez la grand-mère et l'action. Mais les personnages, le lieu de l'action, l'époque, sont souvent différentes de la version originale.

     ÉTUDE DE CAS, une des réécritures du Petit Chaperon Rouge :


"Le Petit Chaperon Bleu Marine"Contes à l'envers (L’École des loisirs, 1977)

     Dans Le petit chaperon bleu marine, de Dumas et Moissard, il est question de la petite fille du petit chaperon rouge. Cette petite fille s'appelle Lorette et porte un duffle coat bleu marine (d'où le titre, «Le petit chaperon bleu marine»). La scène se déroule à paris dans le 13emearrondissement. L'histoire connue semble, au début du conte, vouloir se perpétuer. Les seules différences étant dans la couleur du manteau, l'époque et le lieu ou se déroule de nouveau l'aventure de l'enfant. Pourtant, dès que Lorette, la petite héroïne,  reçoit les instructions de sa mère : apporter des pelotes de laines à sa grand mère (l'ancien et véritable chaperon rouge)elle se hâte de désobéir. Il est précisé, plus tard, qu'elle a toujours été envieuse du statut de sa grand mère, dont les aventures sont contées dans les quartes coins du monde. Ainsi, dans l'espoir de devenir aussi célèbre, Lorette se dirige-t-elle vers le jardin des plantes à Paris où réside le petit neveu du loup qu'avait rencontré sa grand-mère jadis. Lorette essai de persuader le loup de se rendre chez la grand mère pour rejouer l'histoire. Mais Ce loup, qui a beaucoup lu et sais donc ce qu'il est arrivé à son ancêtre trop gourmand, se garde bien d'accepter. Cependant, il s’ennuie grandement dans sa cage et consent à en sortir lorsque le petit chaperon bleu marine, rusant, lui propose une course et le libère. Lorette espère qu'il va aller manger sa grand-mère et que la fameuse aventure se répétera avec elle. En arrivant chez l'ancien chaperon rouge, Lorette est persuadée que la vielle dame assise dans le lit, n'est pas sa grand-mère mais le loup déguisé.
S'en suit que la petite fille au duffle coat bleu marine, croyant si bien à l'histoire, reconduit sous la menace, sa propre grand-mère au jardin des plantes. Le loup, de son côté, au lieu de se diriger chez la grand-mère, a préféré fuir et retrouver sa famille : il y devient chroniqueur mondain. L'avenir est moins flatteur pour le chaperon bleu marine, sévèrement réprimandé, notamment par le «sous-secrétaire d’État aux vielles gens»pour mauvais traitement.



Parodie du petit chaperon rouge ?

     Il est très facile, dans cette histoire de repérer les détournements faits par rapport au conte originel, ce qui le place directement dans le genre de la parodie. En effet, beaucoup d'éléments typiques  de la parodie sont reconnaissables :

  • l'introduction d'un nouveau personnage (le petit chaperon bleu marine)
  • le changement dans le déroulement de l'histoire(le chaperon va lui même chercher le loup, le loup s'enfuit au lieu de courir chez la grand mère...)  
  • l' introduction de noms ou de prénoms, alors que dans les contes traditionnels, les personnages, souvent n'en ont pas ( ici le chaperon s'appelle Lorette) 
  • les changement spatio-temporels ( l'histoire se déroule à Paris, à l'époque contemporaine).

De plus, nous connaissons tous la fin moralisatrice du conte, censée rappeler au enfants qu'il ne faut pas parler aux inconnus ou  critiquant même la naïveté des jeunes filles dans les récits les plus vieux (cf: la version orale, le chaperon rouge se fait manger, ce qui apparaît comme une leçon).  Pourtant ici, la morale est inversée. En effet, c'est le petit chaperon bleu marine qui est fautif d'avoir fait s'échapper un loup de sa cage et d'y avoir conduit à la place sa grand-mère. Le loup, lui, rentre paisiblement chez lui, auprès de sa meute  et la prévient du danger que peuvent présenter les «petites filles françaises». On apprend donc, à la fin du récit que si les enfants n'ont plus à se méfier des loups aujourd'hui c'est parce que ces loups n'ont été que trop bien prévenus par celui qui s'est un jour  frotté à un petit chaperon rouge. 

     Ainsi, ce récit joue-t-il sur l'humour, installé grâce aux références tirées du conte originel et ses présupposés connus par le lecteur. Il fonctionne également sur l'implicite et les effets de surprise : on croît connaître l'histoire et pourtant rien ne se passe comme l'on s'y attend.
L'auteur exploite également nos connaissances culturelles en pariant sur la capacité du lecteur à établir cette connivence, à décoder les allusions, à comprendre la tournure en dérision de la morale classique, et ainsi, à apprécier cette vision nouvelle du conte que propose  le petit chaperon bleu marine.

     Cependant, il existe une seconde version du conte du petit chaperon bleu marine où,la  trame de l'histoire véritable est reprise. Dans celle-ci, il n'est pourtant pas question d'un loup mais d'un homme au mauvaises intentions. En lien avec l'épilogue de la première version du petit chaperon bleu marine : «la menace demeure quant à d'autres rencontres car "certains hommes sont plus dangereux que les loups"». 
 Cette deuxième version évoque le viol. Subtilité présente tout au long du conte originel mais tout à fait explicite dans le petit chaperon bleu marine ( version 2). Cette version résonne comme un avertissement. Et le fait qu'elle soit un détournement du petit chaperon rouge, sensibilisera mieux les enfant à son écoute. 


En somme, les auteurs contemporains se servent de contes classique comme le petit chaperon rouge, en les détournant pour faire rire, ou avertir le lecteur. Ces auteurs restent d'autant plus toujours "ludiques" par l'utilisation du bagage culturel de chacun, reconnaissant immédiatement à quel conte il est fait allusion. Les différentes réécritures, sont ainsi des éléments importants jouant de la popularité des contes classiques car, sous toutes leurs formes, elles renouvèlent constamment ceux-ci et s'adaptent ainsi aux modes de pensée de notre société.

Vision artistique

     Les contes étant issus de la tradition orale, on peut constater qu'à partir d'un même texte, ce sont les illustrations qui donnent une tonalité et une interprétation différente au récit. Grâce à celles-ci, chacun aura le droit de s'inventer sa propre interprétation d'un personnage ou d'une situation. Aussi, si les contes résistent à l'épreuve du temps et sont en permanence réactualisés, c'est grâce à l'inspiration inépuisable de tous ces illustrateurs qui se sont succédés pour apporter leur propre vision. Petit à petit, s'est créé un langage visuel qui est aujourd'hui immédiatement identifiable. C'est le cas notamment, pour le conte du petit chaperon rouge, dont l'image d'une petit fille habillée de rouge est connue de tous.
     
Dans l'art contemporain, les contes sont également très présents :
Pour les artistes contemporains, il est possible, grâce à la connaissance par tous, des codes   de certains contes, de jouer et de se réapproprier ces symboles selon leur réflexion. Que leur but soit poétique ou contestataire.
     
œuvre de Kiki Smith, amitié fille/loup
Une exposition "contes de fée et art contemporain"  s'est tenue à Namur, en Belgique. elle tente de comprendre les raisons qui poussent encore les plasticiens du début du XXIe siècle à convoquer notamment Le Petit Chaperon rouge ou La Belle et la Bête. Elle conjugue les approches historiques, psychanalytiques ou sociologiques du conte par l'art. Certains artistes en effet, sont  
«en accord avec les développements de la psychanalyse, lorsque les récits féeriques sont pour eux le moyen d’évoquer la complexité des conflits œdipiens. D’autres perçoivent au contraire dans le conte un discours institutionnalisé producteur de modèles de comportement visant à nous endoctriner. Pour les uns, il est un moyen d’échapper au réel, pour les autres, détourné de sa fonction première, il devient un instrument de contestation sociale.»  exposition "contes de fée et art  contemporain"

On peut donc imaginer la variété d'interprétations possible grâce à l'art. Le curateur de cette exposition, Olivier Dequenne, analyse également : «les questions d'aujourd'hui sur le sexe, l'environnement, les tabous, la différenciation raciale ou sexuelle... réactivent l'obligation d'en revenir aux contes d'autrefois qui parlaient déjà de la même chose en d'autre termes. Les personnages féériques sont des images archétypales présentes dans l'inconscient collectif depuis des millénaires. Un examen attentif de l'art d'aujourd'hui permet d'affirmer qu'elles sont réactivées dans bon nombre d'œuvres vidéo, picturales ou sculpturales»
     
Il est aisé de comprendre par là que si les contes sont aussi populaire, c'est qu'ils s'attachent à parler de scènes, si l'on peut dire, réelle. Elles sont simplement tournée à la fiction pour être plus agréable en tant que conte. Chacun pourra alors se reconnaître dans un conte. Il est donc facile pour les artistes, de s’attribuer la réalité d'un conte pour s'en servir comme outil de travail et d'introspection (le cas par exemple d'Alice Anderson, utilisant le conte de raiponse dans ses installations pour évoquer ses rapport difficile avec sa mère durant son enfance)
De plus, certains utilisent le conte pour exprimer leurs idées face à la société actuelle. Le conte peut donc aussi servir d'outil de contestation sociale.

     Par exemple Kiki Smith, une artiste féministe, s'insurge contre le discours moralisateur de ce genre littéraire et se penche sur le petit chaperon rouge. Elle imagine une réconciliation possible entre celui-ci et le loup. Comme si elle invoquait une réconciliation entre la femme et l'homme sur divers sujets plus ou moins tabous. Elle balaie leur relation basée sur la violence et le sexe, au profit d'un questionnement sur la différence et la discrimination. 
Elle peint des toiles ou la petite fille et le loup se promènent ensemble, complices. Dans sa peinture DAUGHTER, ils se muent même pour ne former qu'un, le petit chaperon arborant le visage du loup.

œuvre de kiki Smith, 

Daughter, la petite fille mêlée au loup.